Non aux violences faites aux femmes

LETTRE À MON FILS

À l’occasion de la récente fête des femmes, une pensée aux mamans qui deviennent malgré elles des mamans de meurtriers.

Mon fils,

Je t’écris aujourd’hui pour t’exprimer mon ressenti le plus profond au sujet d’une situation.

Nous avons été réveillés ce matin par une nouvelle, un drame, un de plus, un de trop.

La nouvelle tourne en boucle sur les médias radio, télé et sur tous les réseaux sociaux.

Comment je l’ai apprise ? Voilà la quintessence du reportage:

« Une jeune femme, vient de perdre la vie dans un hôpital de la place.  Elle a été sauvagement rouée de coups par son époux, cadre dans une banque. Le motif ? Une banale histoire d’absence. Ecoutons.

La jeune femme était hospitalisée avec le fils, dernier né de sa fratrie de cinq. Elle a dû faire appel à une copine pour veiller sur l’enfant. Elle devait rentrer à la maison pour faire à manger et s’occuper aussi de sa belle grand-mère. Elle n’avait pas de ménagère. Entre temps, son mari est arrivé. Constatant son absence, il a, sans mot dire à la copine de son épouse qu’il connaissait bien, pris l’enfant avec lui et s’en est allé.

De retour, la jeune dame demande à sa copine où se trouve l’enfant. Elle lui apprend que son père est passé par là et l’a récupéré. Aussitôt elle sort à sa recherche. Elle remarque la voiture de son mari dans le garage de l’hôpital.

À peine celui-ci l’a vu qu’il la couvre d’insultes. Il l’accuse d’avoir abandonné l’enfant. Il l’a traite de tous les noms d’oiseaux, pute, prostituée et que sais-je encore ?

Le connaissant, elle ne dit mot. Il lui intime l’ordre d’aller récupérer son fardeau dans la voiture. Elle s’exécute sans mot dire.

Se retournant pour s’en aller, il l’interpelle. Il lui reproche de ne point lui répondre quand il lui parle. Cette attitude l’agace au plus haut point. Comme cela elle se croit supérieure.  Ce mépris, il ne le tolèrera plus. Il s’élance alors vers elle et lui administre une raclée. Celle-ci s’écroule, l’enfant avec. Les gardiens ont juste le temps de récupérer l’enfant que les coups de poing et des mains commencent à pleuvoir sur la dame.

Le bourreau fait défense à quiconque de s’approcher, c’est sa femme. Cette seule information décourage les plus téméraires. Sous les yeux des passants et des gardiens de l’établissement hospitalier, un drame se joue. Ce sont des tiers qui sont intervenus pour mettre un terme à ce massacre en règle.

La dame a commencé à se plaindre de douleur abdominales atroces. Elle a été transférée dans le bloc opératoire de l’établissement. Elle vomissait du sang qui par ailleurs lui sortait de tous les orifices. Les médecins se sont battus comme de beaux diables pour la sauver. Ils n’ont rien pu faire.

La dame avait 30 ans, elle était mère, professeur dans un lycée de la place depuis 07 ans. Elle était aussi épouse d’un cadre de banque. Quel tableau idyllique pour commencer une vie ! Malheureusement, son époux a aussi été son bourreau ».

Avant cet incident une série d’autres incidents, d’amplitude moindre, mais aux conséquences tout aussi graves s’accumulaient.

L’époux, avait pris l’habitude de parler à sa femme, sans égards aucun. Il lui parlait comme à une enfant, une personne immature, une personne manquant d’intelligence. Au cas où elle essayait de le raisonner, il estimait qu’elle était une femme fière et que cette fierté, elle le paierait.

Non seulement avait-il pris l’habitude de lui parler de la sorte, il la dénigrait aussi à tous les coups.  Il méprisait les initiatives qu’elle pouvait entreprendre. La dame supportait, c’est ce que tout le monde disait qu’il fallait faire. Pour ne pas faire mauvaise figure, elle avait la réaction que la société attendait d’elle. Elle était une épouse. Comme telle, elle devait soumission à son mari.

Sur le plan des charges du ménage, en dépit du fait que l’époux avait un revenu supérieur à celui de sa femme, il se donnait le luxe de ne participer à rien. La ration alimentaire, c’était l’épouse qui assurait. S’agissant des soins médicaux des enfants, la charge revenait encore à l’épouse. Même le logement, c’était à l’épouse de payer le loyer. Ses allées et venues, il contrôlait.

La dame avait quand même pris une décision importante. Lorsqu’elle eut son rappel de solde, elle s’imposa le devoir d’acheter un lopin de terre. On ne sait jamais. Elle avait suggéré à son homme de lui faciliter l’obtention d’un crédit dans sa banque. Il refusa. Il l’accusa de chercher à assumer les responsabilités d’homme.

À coup sûr, tel n’était pas son intention. Elle ne l’aurait pas fait s’il avait pris à bras le corps cette charge. Elle était quand même diplômée d’une grande école, ce qui indiquait quand même qu’elle avait une capacité de réflexion. Son mari se moquait d’elle, il la mettait au défi de bâtir une maison sur son honneur, il avait juré que cela serait impossible, au vu de ses revenus.

La dame avait échafaudé une autre stratégie, celle des petits pas. Elle avait d’autres cordes à son arc. Et lorsqu’une femme veut, elle peut. Petit à petit, elle se mit à construire une maison, ce, à l’insu de son époux. Elle s’était dit qu’il valait mieux le laisser en dehors du projet que de l’avoir comme un boulet qui la tirerait vers le bas.

Quelques années plus tard, elle réussit à couler la première dalle, à aménager sommairement le premier appartement. Elle était prête à déménager. Dans cette logique, elle arrêta de payer le loyer, tant et si bien que les passages du bailleur dans leur domicile étaient récurrents. Non elle avait juré, elle ne paierait plus.

Las de ces intrusions, son époux suggéra qu’ils se mettent à la recherche d’une maison. Elle lui opposa un refus catégorique. Elle n’était pas venue dans cette ville pour faire le tour des maisons sans pouvoir se poser. Son mari l’y abandonna. Il ne revint plus à la maison. Quelques jours plus tard, elle déménagea. Elle s’installa dans sa maison à elle, celle qu’elle avait bâtie.

Bien qu’ayant décampé, le mari gardait un œil sur sa femme. Il finit par apprendre la nouvelle. Un beau jour, il se pointa. Elle marqua sa réticence à le laisser intégrer cette maison pour laquelle, il n’avait fait aucune contribution. Comment pouvait-il ? Comment osait-il ? Elle alla se plaindre chez son beau-père.

Ce dernier convoqua une réunion de famille à laquelle furent invités les membres de la famille de l’époux ainsi que ceux de la famille de l’épouse. Là, les pourparlers furent rudes. Sa famille à elle proposa un accord. L’époux réintègrerait la maison. Mais, il devait s’engager à en poursuivre les travaux.

L’accord conclu, ils retournèrent chez eux. Sauf que là, la situation s’empira. L’époux n’avait que très légèrement apprécié cette initiative de sa femme. Il maugréait à tout vent, il était devenu grincheux et susceptible. Il avait la colère à fleur de peau.

Les engagements pris, naturellement, il ne les respecta pas.

Comme pour dire que les promesses n’engagent que ceux qui y croient.

Il était hors de question qu’il poursuive les travaux d’une bâtisse que sa femme avait commencée sans son accord. Quand même ! C’était lui, l’homme de la relation. Quel diable avait inspiré sa femme de s’engager dans une telle entreprise ? Maintenant, les personnes au dehors savaient qu’il ne s’était pas investi dans la construction de cette maison. Pour lui, c’était humiliant, insupportable. Son honneur était bafoué.

Ce n’est pas qu’il était incapable. Il décida alors de contracter un crédit à sa banque alors qu’il avait refusé de le faire lorsque son épouse le lui avait demandé.  Il acheta un véhicule dernier cri avec lequel il se pavanait. Naturellement que sa côte grimpa auprès des voisins.

Wouaouh !!! Un jeune couple qui présentait des signes extérieurs de richesse ; une maison, une voiture et des enfants bien sûr. Ils étaient bien partis dans la vie. La situation faisait des envieux, de la gent féminine aussi. Il se lança ainsi à corps perdu dans une vie dissolue, multipliant les aventures sans lendemain.

Comme une bonne femme, l’épouse se consacra à son foyer. Elle tenait ce qu’elle pouvait. Son domaine de définition était sa maison. Tant que personne ne vint l’y provoquer, elle n’était pas troublée outre mesure. Tant bien que mal, elle avançait.

Comme de coutume, c’est elle qui avait la charge de conduire son fils malade à l’hôpital. Sans soutien de son époux, il lui fallait à un moment donné, assurer son alimentation et celle de son fils, sans oublier les obligations familiales qui continuaient de l’attendre. Elle appela une amie à qui elle confia la garde de l’enfant. C’est pendant son absence que son mari pointa du nez. Il tomba dans une colère verte.  Il se dit à lui-même : C’est comme cela. Même à l’hôpital, elle abandonna son fils, pour s’en aller dans ses aventures. La suite, vous la connaissez.

Une femme est décédée, un mère a été tuée, une fille a été arrachée à l’affection des siens.

Donc, mon fils, un jeune homme, cadre de banque, vient d’ôter la vie à sa jeune compagne.

Cela fait 52 jours depuis le début de l’année et cela ne s’arrête pas.

Ta femme, tu ne violenteras point.

Imagine, après cette nouvelle, je me suis mise à la place de la mère de l’époux, désormais meurtrier.

Voici ce que j’ai ressenti.

Quel gâchis ! un jeune homme à la fleur de l’âge, qui avait tout pour réussir.

Un travail, une maison, une femme, des enfants.

Bref tous les signes que sa vie était sur de bons rails.

Je m’imagine, le jour de son mariage.

J’étais joviale, j’avais accompli une part importante de ma mission.

Dorénavant, je ne serais plus en première ligne pour ce qui concerne mon fils.

Son épouse, sa moitié était là.

Moi, la mère, je serais derrière, non plus au-devant, mais le plus souvent, à l’arrière, dans l’ombre.

J’étais soulagée, j’avais réussi.

Mais comme un château de cartes, mon univers s’écroula.

La nouvelle m’avait assommée.

D’abord, j’avais du mal à croire.

Je me demandais comment mon garçon en était arrivé là.

Je me demandais ce qui n’avait pas marché.

Je commençai à faire ma propre introspection.

Qu’avais-je fait, qu’avais-je manqué de faire ?

Mon fils je voudrais que nous revisitions ton parcours.

Mon fils, je t’ai accueilli avec beaucoup de joie.

Tu arrivais en troisième position, après tes deux grandes sœurs.

Avec toi, j’avais réussi quelque chose.

J’avais réussi à assurer la lignée de la famille.

Tu étais là. Par ce seul fait, tu incarnais beaucoup de choses.

Je t’ai élevé pour que tu assumes tes responsabilités plus tard.

Je t’ai élevé dans la courtoisie, le respect des autres et l’honnêteté.

Je t’ai élevé pour que tu te construises comme un homme.

Comme un homme, il n’était pas question que tu fasses les travaux de ménage.

Comme un homme, il n’était pas acceptable que l’on te retrouve derrière les fourneaux.

Je t’ai élevé afin que tu sièges avec les anciens pour discuter des affaires de la communauté.

Je t’ai élevé pour en faire un leader et non un suiveur.

C’était cela en notre temps, l’éducation que nous devions à nos fils.

J’ai accompli ma mission, avec la conscience tranquille.

On vient de m’annoncer la nouvelle. Quelle nouvelle !!! Quelle terrible nouvelle ?

On me dit que tu viens de tuer ta femme, la fille d’autrui.

La nouvelle, je n’arrive pas à la digérer.

Qu’est ce qui a transformé mon garçon en meurtrier ?

Mon fils tu avais une femme, ta femme, notre femme.

Tu avais une femme. Celle-ci avait pleinement intégré notre famille, elle était notre.

Elle n’était pas notre comme tes sœurs, elle avait une place spéciale.

Lorsque tu t’es marié, je me suis dit que je pouvais désormais me reposer.

Je pouvais déposer le fardeau que j’avais reçu de ta grand-mère sur d’autres épaules.

Lorsque je t’ai regardé, j’ai vu que j’avais en partie accompli ma mission.

Que devons-nous faire à présent ?

Nous avons un corps sous la main.

Tu nous a mis un corps sous la main.

Elle était notre, elle l’était, pas comme tes sœurs.

Elle était notre, comme le produit d’un échange, un échange qui a ses modalités, un échange qui a ses codes.

L’un des effets de cet échange, c’est que la famille d’origine de la fille la confie entièrement à sa nouvelle famille.

Les enfants qu’elle y fera, seront d’office rattachés à cette nouvelle famille et non plus à la leur.

Le corps même de la fille, au cas où elle vient à mourir revient de droit à cette nouvelle famille.

Tu comprends pourquoi, nous disons que les filles sont de passage dans les familles. Elles ne sont jamais membres permanents. Filles, elles ont vocation à partir, à s’enraciner dans une autre famille. Femme, elles n’intègrent pas tout à fait leur nouvelle famille. Qui sait ? Peut-on confier les clés d’une communauté à des étrangères ? c’est pour cela que leur position est toujours ambivalente, ni d’ici, ni d’ailleurs.

Je dois te dire mon fils que ton acte nous met dans une situation très embarrassante.

Que devons-nous dire aux Esselè ? Qu’allons-nous leur répondre lorsqu’ils nous poseront la question de savoir ce que nous avons fait de leur fille ?

Et d’ailleurs, y aura-t-il une plateforme où nous pourrons parler avec eux ?

Les émissaires que nous avons envoyés depuis la survenue du drame nous reviennent avec des signaux très très négatifs.

Le dialogue semble rompu entre les deux familles. Ils nous demandent de les laisser faire le deuil de leur fille ?

Bana loba ! Je ne comprends rien.

Je suis dépassée.

Mon fils, que tu ailles en prison, ce n’est rien. Il faudra déjà que nous assumions l’infamie pendant le procès. Tu es notre fils, nous sommes en devoir d’être à tes côtés.

Mais nous, tu nous as mis dans une bien plus grande prison.

Tu nous a mis dans la prison de l’infamie.

Tu ne peux pas savoir ce qu’il a couté à ton père et avant lui ton grand père pour s’imposer dans ce village.

À force de rigueur, de discipline et d’abnégation, tes ancêtres ont démontré qu’on pouvait partir de rien pour se hisser aux sommets.

Vos réussites respectives faisaient notre fierté.

Imagine maintenant.

Avec ton acte, nous serons pointés du doigt dans la contrée.

Nous serons indexés comme la famille à qui il ne faut pas confier ses filles, la famille avec laquelle il faut éviter de se lier.

Que ce fut un accident, l’on comprendrait, mais battre quelqu’un jusqu’à la mort ? J’ai moi-même de la difficulté à comprendre.

Tel père, tel fils. Oui, tu as tellement bien ressemblé à ton père, en tout.

Ton père au moins, même s’il me frappait, ne m’a pas tué. J’ai pu survivre malgré ses assauts tout au long de notre histoire commune.

La fille d’autrui, ta femme venait se plaindre. Elle s’est même quelque fois par respect réfugiée chez nous au lieu de retourner chez ses parents. Je lui suggérais toujours de supporter. C’était le prix du mariage. La couronne ne se portait qu’au bout d’une course d’obstacles, d’un chemin plein d’embûches. C’est la ténacité qui était récompensée.

Je la conseillais en fonction de mon propre vécu.

Qu’aurais-je dû faire ?

Qu’allons-nous faire à présent ? La sépulture de ta femme ? où sera-t-elle ?

Chez nous, chez elle ?

Tes enfants, mes petits-enfants, que deviendront-ils ? Viendront-ils encore me rendre visite ?

Seront-ils encore miens ?

Un seul acte et tout est déstructuré. A nyambè !!!

Voilà jusqu’où ton acte nous mène.

Mon fils, je te demande pardon.

Je te demande pardon si de mon éducation tu as compris qu’un homme ne devait écouter personne d’autre que lui-même.

Je te demande pardon si tu as vu que je ne fuyais pas les coups de ton père, que je les recherchais même quelque fois. Je n’avais pas le choix. Je dépendais entièrement de lui. J’avais tout à perdre si je quittais cette relation. Ce mariage m’avait relevée. Il m’avait donné un titre. Celui de Madame Nsola, qui pour moi valait plus que de l’or. C’est par lui que je me suis construite une vie sociale. C’est par ce titre que j’existais. Je ne pouvais pas tout perdre en me détachant de ton père. Et ce n’est pas l’envie de le faire qui m’a manqué.

Toi, ta situation était différente. Tu avais une femme avec un niveau d’éducation supérieure. Elle avait un métier. Elle était intégrée dans la vie. Cette situation t’imposait un ajustement par rapport à ce que tu avais vécu chez tes parents. C’est cela aussi l’intelligence.

Je te demande pardon si je ne t’ai pas instruit sur la qualité des relations humaines. Après tout, quelle que soit notre position, nous sommes tous des êtres humains. Nous avons droit à la considération. Ce n’est pas parce qu’elle était ta femme que tu avais quelque chose de plus qu’elle.

Je te demande pardon si je n’ai pas su m’interposer entre vous deux lorsque cela allait mal. Tu étais mon fils, mais elle était aussi ma fille. Elle m’avait été confiée, je devais en prendre soin.

Si j’avais à refaire ton éducation, que te dirais-je ?

Je te dirais, mon fils sois un homme. Être un homme ne signifie pas que l’on a une valeur supérieure à celle de la femme.

Être un homme, c’est d’abord se construire soi-même. C’est assumer ses responsabilités, de père, d’époux.

Qu’est-ce que j’ai appris ? que tu as abandonné la construction de la maison à ta femme ?

À notre époque, cela ne se faisait pas.

Vous devriez mutualiser vos forces. Mais pour le faire, tu devais d’abord avoir son cœur.

Comment avoir son cœur ?

Mon fils tu devais exercer une autorité bienveillante.

C’est une autorité qui sait où elle puise ses forces et qui valorise les compétences, celles qu’elle a, surtout celles qu’elle n’a pas. L’être humain n’est ni omniscient, ni omnipotent, Dieu seul l’est.

Que te dirais-je encore ? Je te dirais mon fils, maitrise ta propre force, c’est là ton plus grand combat.

Tu le vois bien ce n’est pas parce que l’on a une force qu’il faut toujours la montrer. Parfois, la plus grande victoire, c’est celle sur soi-même. Etre capable de faire quelque chose, mais néanmoins s’abstenir de le faire, parce ce que cela ne servirait qu’à flatter son égo, sans plus. Le combat contre soi-même est le plus grand combat, combat contre ses égoïsmes, combat contre ses peurs. Savoir que l’on peut tout écraser, mais néanmoins se retenir, c’est faire preuve de grandeur.

Je te conseillerai de vivre la vérité de ta situation.

Ta situation, toi seul tu la connais. Agis en fonction d’elle, sans chercher ni à tromper l’autre, ni à plaire, ni à prouver quoi que ce soit à ton entourage. Vois-tu, qui aurait pu imaginer le drame qui allait se produire ? De l’extérieur, vous étiez un couple qui présentait les signes extérieurs de réussite ; des enfants, une maison, une voiture, qui dit mieux ?

Je te suggèrerai d’accepter que la vie à deux a des saisons. Les unes te seront favorables, les autres te le seront moins et vice versa. A chaque saison haute pour toi, n’oublie pas qu’il y aura une saison basse, à chaque saison basse pour toi, soutient la lumière de ta compagne qui brille. Accepte d’être la marche sur laquelle ta compagne se tient pour briller aux yeux du monde. Il n’y a pas de brillance sans face d’ombre, l’ombre et la lumière se côtoient comme deux faces d’une même médaille.

Lorsque ta femme monte sur les estrades, il en faut un qui garde le foyer. Accepte d’être celui-là. Cela ne te coûte rien, mais c’est le prix à payer pour construire une relation stable et durable. La complémentarité et non la compétition, c’est ce qui est nécessaire à une relation. Tous, nous n’avons pas les mêmes aptitudes. Etre en relation avec l’autre, c’est découvrir patiemment ses forces et ses faiblesses, c’est valoriser ses forces tout en minimisant ses faiblesses.

Rappelle-toi que la réussite a plusieurs pères et que les échecs sont orphelins.

Oui, aujourd’hui, je me trouve face à un grand échec, un échec que l’on ne peut corriger.

Mon fils a tué une fille, sa femme. Une mère a été arrachée à la vie, une fille à l’affection de ses proches.

À ta place, je demande pardon. Si le pardon ne peut réveiller la fille décédée, peut-être me permettra-t-il d’avancer.

À vrai dire, je suis perdue.

Je regarde mon fils et je pleure.

Quel gâchis.

Au moment où je t’écris cette lettre, je reçois ce message :

« Encore une.

Je suis mal ce matin, très mal.

Encore une.

Encore une dont la vie a ce matin été emportée comme un torrent ou une vague emporte les détritus oui les détritus.

Sa vie en était un.

Comment se dire qu’il en était autrement ?

Si son bourreau, sa moitié, la part d’elle-même pour une raison si futile ne s’est pas privé.

Non sa vie n’était pas une vie que l’on protège, que l’on arrose, que l’on préserve.

Sa vie était un objet, à la merci de son compagnon.

Quelle faute avait-elle donc commise ?

Lier son destin à celui d’un tiers, parfait inconnu, réduit-il votre vie à une chose, à un objet dont il tient seul les rênes ?

Comment ?

Comment imaginer qu’un être humain en vienne, par simple orgueil mal placé, à ôter la vie à autrui.

Sauf si son statut l’a mis au-dessus de la mêlée, loin du statut d’être humain.

Loin de cette condition que tous nous partageons.

Non.

Non mille fois.

Non aucun être humain ne devrait périr sous les coups d’un autre.

Aucun être humain, fut-il un compagnon, un époux ne devrait se permettre de mépriser sa compagne, ne devrait de permettre de la traiter autrement que ce qu’il souhaiterait lui-même.

Non une femme ne devrait pas périr sous le coup de la personne en qui elle a placé toute sa confiance.

Elles partent, les unes après les autres, sans considération d’âge, elles partent.

Jeunes, adolescentes, vieilles, elles partent.

Elles partent, rongées par ce je ne sais quoi qui semble donner de la toute-puissance à leur bourreau.

La vie est dure.

Mais contrôlons notre colère.

Sinon, nous serons peut-être le prochain meurtrier sur la liste

Et les regrets ne serviront à rien. »

Cela ne fait que commencer. Je vivrais à jamais avec la marque de cette histoire, de votre histoire.

Cette histoire est la vôtre. Mais elle cesse de vous appartenir lorsque ses effets débordent les confins de votre cercle intime. Elle est aussi désormais nôtre.

Je serai désormais étiquetée, la mère de Djalo, l’homme qui a tué sa femme.

Ça ce n’est pas une couronne d’honneur.

Au moment où j’écrivais cette lettre, j’ai regardé un reportage à la télévision.

C’était l’histoire d’une jeune dame dont le père avait également frappé sa mère à mort.

Elle s’est construite dans le manque et l’absence. L’absence d’une mère, bien évidemment, mais l’absence d’une figure paternelle.

Cette absence ne lui permettait pas de se situer, d’avancer.

Elle a évolué comme une feuille d’arbre détachée de la branche, exposée à tous les vents, sans repères.

Pour son mariage, elle a dû diriger sa belle-famille vers la famille d’une tante qui l’avait au moins recueilli à un moment donné de ses pérégrinations. Cette tante, bien que décédée à ce moment-là, était la seule figure familiale qu’elle avait. Tu te rends compte ? Son père était pourtant vivant, en prison. Il y est décédé.

Avait-elle des questions, certainement. Elle en avait énormément. Mais à qui devait-elle les poser ? Aux morts, cela était bien difficile. Elle était condamnée à vivre avec ses questions. Elle les trainait comme un boulet.

 Elle avait dû entreprendre une thérapie pour essayer de s’en décharger un peu. Après tout, ce n’était pas elle l’auteur de l’acte qui avait ôté la vie de sa mère. Elle n’était que l’une des victimes collatérales.

Une victime de trop.

Voilà fils, ce que j’avais à te dire, prend bien soin de toi.

Réfléchis.

Voudras-tu laisser ta mère dans cet état ?

Voudras-tu faire porter à tes enfants un lourd fardeau qui ne les quittera jamais, un fardeau qui tourmentera leurs jours et parasitera leurs nuits ?

À toi la réponse.

Tu as le choix.

Moi, ta mère, je souhaite que tu choisisses le meilleur, pour toi, même, pour tes enfants, pour nous également.

Ta mère qui t’aime.

Cette publication vous est dédiée afin que nous mesurions la portée des violences faites aux femmes

2 réflexions sur “LETTRE À MON FILS”

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